Thème :

Ils sont venus pour moi. 

Je me rappelle avoir lu, à treize ou quatorze ans, un livre sur le mystère du Triangle des Bermudes. Le texte, sous ses apparences savantes traitant d’une présence extraterrestre dans cette zone particulière de l’océan Atlantique, m’a littéralement conquis. Je l’ai dévoré d’une couverture à l’autre, relisant même des chapitres entiers pour m’assurer d’en avoir bien saisi le propos. Ce livre m’a captivé à ce point que ma perception de l’Univers en fut transformée. Observant de plus en plus le ciel et les étoiles, je me souviens m’être demandé s’il existait bel et bien, ailleurs, sur les planètes lointaines, d’autres formes de vie capables de s’organiser en société. Or, si cette question du Triangle des Bermudes avait été abordée par un ouvrage rigoureusement scientifique, elle n’aurait probablement jamais eu le même impact sur moi, puisque c’est l’évocation d’extraterrestres qui a enflammé mon imagination, ma créativité. Avec les martiens sont venus mes premiers questionnements d’ordre philosophique et aujourd’hui encore, je regarde les étoiles en m’interrogeant sensiblement de la même façon.

Bryan Perro
Président édition 2016


Premier prix

Andréanne Veillette, Cégep de Granby

La fin

Midi moins quart. Boîte vocale vide. Les aptes au travail fourmillent dehors. Moi, je cherche ma théière à tâtons. Mon petit pot en main. Une faible succion. Le couvercle cède. Au fond : quelques feuilles rabougries. Tout juste assez pour une tasse claire, trop claire pour me sustenter. Déjà ?

L’humidité permanente qui règne dans ma cellule me transperce les os. Une odeur bestiale que je ne remarque plus depuis longtemps flotte dans l’air. Mais je les entends encore. La nuit, les gémissements de cinquante fantômes emplissent le corridor de la mort. Je me recroqueville à l’intérieur de mon esprit qui m’appartient de moins en moins. Je garde les yeux ouverts. Il fait si sombre que je ne vois pas la différence. Le visage de ma fille danse devant mes yeux. Les détails s’effacent. J’entame mon rituel. Je me remémore son menton pointu, la teinte exacte de ses yeux et la texture de ses cheveux bruns. Ils me l’ont enlevée, mais je refuse de la perdre. Son visage se précise et je sens sa présence dans le cachot. Une chaleur bienveillante me parcourt l’échine. Je peux dormir à présent. Les plaintes des autres prisonniers disparaissent et je plonge dans mes rêves où tout est encore possible.

La lumière matinale colore la prison d’une teinte grise uniforme. C’est toujours là qu’ils viennent.

Je suis réveillé depuis peu quand la porte grince. Des épines de glace se logent dans mes mains et mes pieds. Les hurlements qui fusent des cellules me donnent le vertige. Les pas s’approchent. Mon cœur suit la cadence. Je tremble violemment. J’attends depuis trop longtemps. Je suis le prochain. Je m’écroule, la tête entre les mains. Je vois les bottes noires bien cirées s’arrêter devant ma cellule. Je sais que je suis innocent, mais ma fille ne connaîtra jamais la vérité. Je me lève sur mes jambes flageolantes. Ils sont venus pour moi.

Deuxième prix

Érika Hagen-Veilleux, Cégep de Limoilou

Hurler comme des louves

J’ai peur de vivre, car je ne sais comment faire.

J’ai laissé mon visage être laid, pendant qu’on me demandait d’être belle, immobile, sur un plateau d’argent. Les seins juste assez remontés pour te plaire, mais pas assez pour mériter les mots doux d’amour sales : salope, bitch, dans ton dictionnaire d’objectification fuckée.

Promis, juré, craché, j’ai la bouche cousue, sauf pour dire merci à ta bonté d’homme chevalier, qui me regarde, affamé. Sérieux, je jouis déjà à l’idée de te faire bander. M’entends-tu ? Fuck off.

T’as dit : « Je l’ai fourrée juste pour avoir une histoire à raconter. » Mon corps n’est pas né sucré comme un bonbon à sucer. Mon corps est une forêt boréale, une toundra, une Alaska. Mon corps et les vôtres, enfants vestiges de mille champs de bataille oubliés, de siècles de silence soumis et saignants.

La guerre se gagne entre les jambes des femmes. L’âme anesthésiée de la plus vieille lutte de la terre. La survivance d’être capable d’aimer encore. La survivance au fond de la gorge, rauque et blessée, enragée, quand on nous dit que la culpabilité est notre fardeau à porter.

La culture du viol dans les pages d’un magazine, dans la voix du barista qui t’offre un café, pour s’assurer de ne pas avoir à demander. Dans la peur et l’hypocrisie de ne pas nous apprendre à dire non. À se lever debout et à hurler comme des louves. Mon sexe est une fêlure dans laquelle tu es entré. Sans le dire, sans parler.