Écrire, ce n’est pas juste un geste de la main, pas rien qu’un stylo qui glisse sur la page blanche ou un clavier qui tape des lettres à l’écran.
Écrire, c’est s’engager corps et âme dans un processus mystérieux qui nous échappe et pourtant où l’on se retrouve. Écrire, c’est ce qui permet de se définir, de se situer dans le monde et de se révéler à soi-même et aux autres.
Pendant 24 heures, des jeunes nés non pas à l’ère du Verseau mais à l’ère des textos ont écrit des histoires inventées ou non, puisées dans leur imaginaire ou leur réalité, mais, avant tout, des histoires sorties d’eux et de personne d’autre. Ils ont écrit leur vie. Puissent-ils continuer à le faire longtemps encore !
Nathalie Petrowski
Présidente édition 2017
Premier prix
Alex Thériault, Cégep de Rimouski
13,99 $
Je ne pensais pas sortir ce soir-là, mais le téléphone a sonné. Mon cœur a fait un bond et j’ai pris un moment pour le calmer avec une raisonnable gorgée de vin pour ma bouche friande. Une bouteille du Chili : élégante et rustique. Une pastille charnue. Ce vin, en réduction à 13,99 $, allait être mon meilleur ami la nuit durant. Lui, au moins, ne me quittera pas… Deuxième sonnerie. Mes paupières noyées dans le fard s’amenuisaient sous la pression fluorescente des néons, ce qui avait suffi à me convaincre d’une autre dose de mon aphrodisiaque compagnon rouge. Troisième sonnerie. Je fis aller mes lèvres dans un soupir exagéré, empesté d’alcool.
Visage déconfit, quasi mort.
Yeux enflés, obèses.
Je posai mon regard estompé vers le portable, au sol. Une fissure après l’autre. Une blessure parmi tant d’autres. Un mot enchaîné à la suite du précédent alors qu’il se défilait, l’air de rien, à entailler mon cœur de ses textos mal aiguisés, rouillés.
« Maman. »
C’est ce qui était affiché entre les cassures qui lézardaient l’écran de mon téléphone, celui que j’avais fracassé. Quatrième sonnerie. La dernière. Ma coupe partit à la renverse sur le tapis crème au moment où je saisis l’appareil. L’effet de sa voix fut instantané. Entre cinq ou six sanglots, je parvins à lui exprimer ma douleur. Plus tard, mon manteau refermé sur ma jupe trop serrée, je laissai derrière moi cet ami chilien à 13,99 $ couché sur le tapis, tout près de mon portable, l’instrument qui avait servi à me briser.
Deuxième prix
Anne-Virginie Bérubé, Cégep de Limoilou
Faire l’amour et s’aimer encore
Je ne pensais pas sortir ce soir-là, mais le téléphone a sonné.
Étendue sur l’édredon familier, j’ai lancé un bras vers le sans-fil. Numéro inconnu, je décroche. J’ai à peine reconnu sa voix, étouffée par un mal brûlant, coincé dans sa gorge.
« Je meurs, ce soir. »
William. Lui, et mon corps qui a cessé d’exister sous ses mots.
« Victoria, je voulais te dire… je t’aime. »
L’homme qui me fait sourire et vibrer chaque jour, que j’aime… tellement trop, tellement bien.
« Je vais le faire. »
« Attends-moi. »
J’étais vide. Une enveloppe blanche, mais tachée, complètement vide. Je me suis levée machinalement, robot mécanique, morceau de métal froid.
La pluie me battait les tempes, compatissant avec la migraine qui commençait à affaiblir mes sens. J’imaginais sa tête, pleine de douleur rasoir, et mes pieds nus frappaient plus vite et plus fort le bitume humide.
Je savais où le trouver.
Le parc, à cette heure tardive, semblait vide. Lui était installé sous notre arbre, près de la vieille cabine téléphonique. L’herbe trempée a avalé mes pas jusqu’à lui.
Mes yeux dans les siens, je lui ai raconté notre bonheur. Celui de le regarder chaque matin à notre réveil, de se sourire et de s’aimer avec les yeux, la bouche, les doigts et le corps. Je lui ai montré tout cet amour que j’ai pour lui, le beau, le doux, le simple, le vrai.
Nous avons fait l’amour sous les étoiles.
S’aimer, encore, toujours, par les yeux, les mains, le corps…
La voix.