Thème : « avoir su, je me serais tu »
Après avoir été sur le jury il y a quelques années, j’ai eu la chance cette année d’être le président d’honneur de la 31e édition du Marathon d’écriture intercollégial.
J’ai pris mon rôle au sérieux et j’ai choisi le thème suivant pour le concours : « avoir su, je me serais tu ». Un thème contemporain s’il en est un, et qui peut être à la fois multiple et complexe. Après avoir donné le coup d’envoi du marathon et un premier atelier d’écriture de paroles de chansons avec l’amie Laurence Nerbonne, j’ai dévoilé le thème. Les participants et les participantes se sont emparés de celui-ci et en ont fait le leur. Il en est ressorti une multitude de textes tous plus riches les uns que les autres.
Certains ont inventé une histoire rigolote de pied dans la bouche qui vire mal, d’autres ont pointé du doigt cette culture de l’opinion qui nous obsède depuis l’ère des réseaux sociaux. Certains ont écrit une comédie romantique, d’autres, une histoire d’horreur. Pris au premier ou au second degré, ce thème a pu servir tous les récits, et j’ai été heureux d’en découvrir la richesse et les possibilités.
En tant qu’auteur moi-même, ces participants m’ont beaucoup inspiré. Je suis sorti de cette expérience avec la certitude que cette génération avait quelque chose à dire, et qu’elle était en train de trouver sa façon singulière de s’exprimer, peu importe le média.
Félicitations à tous les participants et participantes, mes hommages aux finalistes, et des fleurs pour les gagnants, dont vous découvrirez les textes ici !
Guillaume Lambert
Président édition 2021
Premier prix
Natalia Uzcategui, Collège Ahuntsic
Coquille vide
Je me suis réveillée avec les lèvres rouges aujourd’hui. Je me suis vêtue de couleurs vives à cause de mes lèvres rouges. Je sors et je marche avec fierté à cause de mes lèvres rouges.
Est-ce que les autres me regardent ?
Je suis une œuvre d’art. Je suis un canevas qui a explosé en sortant du lit. Mes cheveux flottent au vent, mes yeux percent les tiens et mes lèvres sont rouges.
Une fille (une femme?) comme moi devrait parler. Tu t’attends à ce que je parle. Tu t’attends à entendre une voix ferme, sensuelle, velouteuse, confiante, douce, inébranlable ou puissante. Tu t’attends à des mots tranchants comme mon regard, tu t’attends à une présentation audiovisuelle.
Chéri… je ne vis pas pour toi. Je ne suis pas pour toi. Je ne vis pas. Je ne suis pas. Je suis une œuvre d’art. Je suis une affiche colorée. Je suis comme une peinture : muette. Mon allure a créé un personnage dans imagination. Pour toi, je suis un mensonge.
Je suis silencieuse depuis longtemps. J’ai une voix, mais j’ai oublié comment elle vibrait. Quelqu’un que j’aimais m’a dit un jour que j’étais le seul problème qu’il avait. Ses mots ont coupé les miens. Depuis ce jour, je parle silencieusement, je chuchote, ou je parle entrecoupé. Des fois, mes mots, blessés, saignent pendant mon sommeil, et je me réveille avec les lèvres rouges.
Je pense que j’avais une personnalité avant.
Ma voix a été un problème. Je suis un problème.
Au moins, je suis belle.
Deuxième prix
Derek Sheedy, Cégep Garneau
C’est ce que maman disait
« Maman me fait mal, » chuchotai-je.
Je refusais de me mettre en maillot de bain. Ma professeure ne comprenait pas. « Qu’elle aille se faire foutre » C’est ce que maman disait. Parfois, j’ai peur, parce que je ressemble à maman. Quand mes veines bouillonnent, que ma voix déchire, que mes yeux se noient et piquent. Je hurlais au directeur. Je lui crachais dessus. « Tabarnak ! » C’est ce que maman disait. Quand une gentille dame est venue, m’a adoucie avec sa belle voix, comme maman après une dispute, je lui ai dit. « Personne ne doit voir. » C’est ce que maman disait. La dame avait un joli sourire. C’était comme mettre mes pieds sur le calorifère quand j’avais froid. Pour elle, juste pour elle, j’ai chuchoté et j’ai relevé la manche de mon gilet. Elle a vu les belles couleurs. Le mauve, le jaune, le rouge. Ça faisait mal, mais c’était magnifique. « Des petites taches d’amour. » C’est ce que maman disait.
Maintenant, je suis chez une autre dame que je ne connais pas. Je n’ai plus les belles bouteilles à moitié vides. Je n’ai plus mon calorifère dans ma chambre. La gentille dame m’a découpé le cœur, m’a massacrée. Elle m’a arrachée de maman. Maman était effrayante, méchante, mais c’était ma maman. Aujourd’hui, les dernières taches d’amour sont parties. Maman n’est plus là du tout. La nouvelle maman m’apporte du chocolat. Elle pleure. « Je t’aime. » C’est ce que maman disait, quand je pleurais.
Mention spéciale
Pierre-Yves Grondin, Cégep Beauce-Appalaches
Date butoir
Les cégépiens sont entassés à la file devant l’échafaud, là où nos désirs profonds se réalisent, là où les rêves partent en fumée.
-25.2 REFUSÉE-
Je crois que c’était Amélie ; elle rêvait d’être psychologue.
J’y ai déjà pensé, moi, écouter le malheur des autres comme job. Idée de marde. Un plan pour que je plagie le plan suicidaire de la Damnée et que ça plante ma moyenne au Jugement dernier. Comme dirait ma prof : « Un jour, ça va te tomber sur la tête. »
-36.3 ACCEPTÉ-
C’était Julien qui rêve d’être chirurgien.
J’y ai pensé, moi, éventrer les gens comme job. Seulement, j’aime pas ça le sang. Un gros plan pour que je pense à Satan en copiant mon Serment et que je sonne comme un gros serpent qui ment en le prononçant.
-31.5 RÉFUSÉE-
C’était Claire; elle rêvait d’être optométriste.
Elle aurait dû le voir arriver. J’aime penser que j’ai le don de clairevoyance dans la vie. Je me vois PDG d’une compagnie de souliers. Non, c’est faux, je suis en train de vampiriser l’idée d’une annonce télé.
-28 ACCEPTÉE-
C’était Julie qui rêvait d’être criminologue.
Moi je pourrais pas. Un plan pour que je confesse aux criminels que je devrais être leur coloc pour avoir soufflé des réponses à l’examen.
C’est à mon tour.
Je monte l’échafaud et je dis : « Je veux aller en théologie. »
-21.1 REFUSÉ-
Dommage ; je rêvais d’être…
Finalistes édition 2021
FINALISTES DE MONTRÉAL
Carine Du Sablon – Cégep André-Laurendeau
Kamila Remis-Flynn – Cégep André-Laurendeau
Natalia Uzcategui – Collège Ahuntsic (PREMIER PRIX)
Florence Francis – Cégep de Granby
Marie Rhéaume – Collège de Maisonneuve
Eyram Mathilde Amouzou – Cégep de Saint-Jean-Sur-Richelieu
FINALISTES DE QUÉBEC
Pierre-Yves Grondin - Cégep Beauce-Appalaches (MENTION SPÉCIALE)
Florence Caron - Cégep Garneau
Florence Jobin - Cégep Garneau
Julia Roberge - Cégep Garneau
Derek Sheedy - Cégep Garneau (DEUXIÈME PRIX)
FINALISTES DE RIMOUSKI
Rose Berteaux – Cégep de Rimouski
Loïc Lavoie-Leduc – Cégep de Rimouski
Rose Gagnon-Yelle – Cégep de Rivière-du-Loup