Thème : « Stylo… Fluo? Bingo! »

Klô Pelgag

Présidente édition 2024

Mention d'honneur

Annabelle Savard, Cégep de Sainte-Foy

Lorsque la balle frôlait l’été 

Le soleil brûle ma peau et sa lumière embrasse tous les recoins de mon jardin. Loin devant moi, mon père me regarde et s’apprête à me lancer une balle. Cette balle qu’il tient, cette balle qu’il touche. Une fois hors de la paume de sa main, la balle effleure le vent, les feuilles et la température estivale. Sphère en mouvement, elle ne touche plus rien. Elle flotte, elle vole. Le vent n’est pas tangible et elle ne peut s’y agripper. Son parcours est achevé, elle a traversé le jardin et vient se déposer dans ma main. Je la sens. Je sens ses coutures. Sa forme et sa force. À mon tour, je la touche et je la tiens. Je la vois. Je relance la balle. On la touche chacun notre tour, mon père et moi. Elle vole entre nous tels une idée ou un souvenir que l’on partage. Ce jeu qui touche, qui rapproche un père et son fils, un rêve de jeunesse qui effleure les mémoires. Cette balle, notre balle, touche ma main, sa main. Elle touche nos vies et s’y accroche. Sans cesser de nous tenir. La balle frôle l’été et s’incruste dans ma tête sous forme de souvenir, je l’entends souffler « je t’aime papa ».

J’ouvre les yeux, le soleil brûle toujours ma peau, j’aimerais la sentir en moi, rendre véritable cette après-midi, mais elle restera à jamais une idée effleurée. 

 

Première place

Béatrice Loignon, Cégep de Rimouski

        Se réfugier dans un pamplemousse

Minette, quand tu auras le temps, il y a une maison que j’aimerais te montrer. Elle est là, horrible et petite, sur le bord du littoral. Il te suffira de la chercher après les cornouillers et faufiler ton corps entre les épines des rosiers sauvages. Tu la verras tout de suite, la cabane molle. Tu la reconnaîtras par le nez. Elle est parfumée, acide et sucrée. Quand tu voudras Minette, une belle maison ronde en pelures de pamplemousse t’attend.  

Elle se tiendra sur la berge. Elle restera tenace sous les grandes rafales de vent. Quand tu seras fatiguée du bruit des chars, épuisée de revendiquer la nécessité de l’incertitude, quand la violence des chauffeurs d’autobus pressés et tes propres hypocrisies te feront voir toute la laideur cachée chez les autres, elle t’attendra. Quand tu seras essoufflée à force de mentir et de cacher, quand tu te surprendras à craindre de finir comme ta mère, comme sa mère à elle et toutes les autres avant : insatisfaite et amère, Minette, la maison ouvrira ses pelures tièdes, t’invitera à te blottir dans les draps doux du lit. Tu verras que le plus réconfortant qu’elle t’offrira est une courtepointe de vêtements. Peut-être que ta mère y était et que son chandail préféré t’y attend. Dans les tiroirs de la base de lit, le thé de l’amour, tes disques de Jean Leloup et les photos de ta naissance t’attendront. Tu pourras te raconter et saigner, tacher les draps et fondre paisiblement, dans la maison qui t’attend. 


Deuxième place

Camille Hubert, Cégep de Sainte-Foy

Papa cool

Je ne peux rien lui refuser. C’est mon enfant, mon trésor, ma princesse. La boutique ferme ses portes sous peu. Il est 20h53 ; beaucoup plus tard que l’heure de coucher d’Annabelle, mais je lui ai fait cette promesse : « Tout ce que tu touches, tout ce que tu effleures, Papa te l'achète. » 

Je veux être un bon père, le meilleur père. Je veux tout lui offrir, quitte à ne plus en avoir. Je veux que dès demain matin, Annabelle supplie sa mère de la laisser retourner chez Papa.  

Le panier se remplit si vite. Des sacs et des sacs de friandises, une balle rebondissante jaune et rose (ses couleurs préférées), un « slime » que je m’efforce de bien prononcer comme les autres papas cool. Je dis oui. Oui oui oui. Oui à tout. Tout pour ma fille. Tout ce que tu touches, tout ce que tu effleures. 

La boutique ferme bientôt. 

« Papa va devoir aller payer tes cadeaux, ma belle. »  

Ma fille m’ignore.  

« Annabelle, tu m’entends ? » 

Ma princesse fronce les sourcils et lance au bout de ses bras une peluche qu’elle tenait. Je ramasse l’ourson, le place dans le panier et me dirige vers la caisse. 

Je tiens ma fille dans mes bras lorsque la caissière scanne tous les jouets. Le montant augmente et augmente devant mes yeux. J’ai mal au cœur, mais pour l’amour d’Annabelle, tout en vaut la peine. 

« Ça fait 140,67$, » me dit la dame en me fixant dans les yeux. Je dépose ma carte sur le lecteur et je lis : 

« Refusé ».