Thème : « Sylvain »

Samuel Cantin

Président édition 2025

Première place

Angélie Lachance, Collège Universel

Terra incognita  

Il habite à la limite du monde. Là où les arbres respirent plus fort que les hommes. Là où chaque pas murmure un monde nouveau. Là où vie et mort s’unissent pour façonner l’existence. Habitant de la forêt, il marche entre les troncs comme on marche entre les pensées, lentement, sans bruit, de peur de briser le silence et l’harmonie qui habitent. Il navigue avec aisance, chaque pas plus ferme que l’autre. Il est maître de la nature, et pourtant, la nature règne sur lui. Quand il avance, les branches s’écartent, les fougères s’inclinent et les animaux s’arrêtent. Le vent pousse sur le droit chemin, les arbres le protègent. Il n’est pas parfait. Il n’est pas beau, ni laid. Il incarne l’équilibre fragile entre la peur et le respect. Il contrôle tout, mais n’est roi de rien. Ni dieu, ni homme, mais quelque chose entre les deux. Une présence. Un mouvement. Une promesse. Dans son regard se loge la patience des saisons, l’acceptation de tout ce qui tend puis retombe. Le vent le traverse sans le briser, la pluie le trempe sans dissoudre et la terre sous ses pas se souvient. Il n’a pas besoin d’être vu pour exister. Chaque souffle qu’il donne est une naissance. Chaque pas marque un nouveau départ. Il avance encore, sans destination. La forêt s’ouvre devant lui, se referme derrière. Et dans la lenteur de son passage on comprend : le futur n’est pas ailleurs. Il est ici, dans cette lumière verte, vivante, qui respire à travers lui. 


Deuxième place

Athéna Boudreau, Cégep de Baie-Comeau

        Gel Sylvestre-Nord

Côte-Nord, la fin, petits villages fiers, soûl de liberté et de Budweiser. La nature s’étent vaste et sauvage, le paysage âpre, rêche comme une éponge à récurer. Ici, les Sylvains sont particuliers.

Parcourant la toundra au vent sec et coupant, les Sylvains dans leurs motoneiges s’empiffrent de grands espaces. De leurs virevoltes motorisées, ils changent le paysage à coup de sillons. Esprits de la nature coincés à -30°, ils prennent les virages à 90°, faisant des vagues dans la région. Elfes espiègles, ils s’amusent en humour de débauche, apparaissant partout et partant comme le vent. Certains maitrisent le violon, enchantant le voisinage de leurs rigodons. Gens de peuple, gens du bois, dans la forêt ils perdent leurs peines.

Automne, le paysage brunit, les sapins restent stoïques. Sans feuillus, les êtres humains tournent orange. Le froid s’étend, c’est la chasse. Les Sylvains sortent en « gagne », ils vont au chalet, faire du bateau à moteur dans leurs lacs et rivières, faire du quatre-roues dans le lichen et les dunes. Bruit d’animaux dans la forêt, les écureuils roux sonnent l’alarme, les Sylvains crient la faune.

Concours de panache, le « buck » est pris. On dépèce l’orignal, et les Sylvains invitent la famille. Village dans une cabane, c’est chaud, c’est soûl, on rit. L’oncle Sylvain s’approche d’un neveu avec un grand sourire ayant une vie riante.

- Pis, s’t-hiver, veux-tu qu’Mononc Sylvain te fasse conduire la motoneige ?

Le neveu, petit bonhomme de cinq ans, futur Sylvain saute de joie. L’hiver est dur, mais les Sylvains endurent. 


Mention d'honneur pour la qualité de la langue offerte par Druide informatique

Manoah Grignon-Lasne, Cégep de Chicoutimi 

La pandémie de prénoms 

« Je m’appelle Camille et j’ai 18 ans ». C’est ce que je disais pour me présenter il y a encore quelques mois, mais maintenant je dis seulement mon âge, puisque de toute façon, tout le monde m’appelle Camille. Avant la pandémie, il y avait des millions de prénoms, mais en seulement trois mois, toute l’humanité s’est éteinte, sauf les gens portant le prénom Camille. Heureusement que c’est tombé sur un prénom mixte, sinon l’humanité ne pourrait plus se reproduire… 

Imaginez les réactions du monde entier lorsqu’un certain Sylvain Croyable s’est présenté à la douane de Montréal, la semaine dernière, en prétendant ne pas savoir d’où il venait. 

Sylvain est un drôle de personnage, un vieux monsieur très maigre, complètement chauve et imberbe à l’exception de sa moustache si longue qu’elle atteint presque son nombril. Je l’ai vu à la télévision, les journalistes du monde entier l’invitent pour savoir comment il a survécu malgré son prénom, mais il refuse toujours de répondre à cette question. 

Certains disent qu’il a des faux papiers et qu’il s’appelle Camille comme tout le monde. D’autres pensent que c’est un robot ou un extraterrestre. Deux clans se sont même formés sur les réseaux sociaux, ceux qui souhaitent le protéger et ceux qui souhaitent sa mort car il est différent. Je crois que le deuxième clan a gagné le combat. Une rumeur dit que Sylvain aurait été retrouvé poignardé et pendu par la moustache à son domicile ce matin, avec une lettre du groupe extrémiste Pro Camille à la main.